Guillaume Dubourg : boulanger itinérant et engagé
Après avoir eu plusieurs vies, Guillaume Dubourg s'est reconverti dans la boulangerie bio au levain. Son fournil ambulant ramène de la vie dans des villages dépourvus de commerce.
Comme tous les mardis, la Boulangerie Itinérante a pris ses quartiers sur un parking de Gillonnay. Dans sa roulotte, entre les pains qui poussent sur les étagères et le four à bois artisanal qui monte en température, Guillaume Dubourg façonne des pains aux noix. Petite astuce : « J’ai d’abord fait tremper les noixpour qu’elles ne pompent pas l’humidité de la pâte et que leur parfum se diffuse mieux », partage-t-il.
Les premières cuissons seront terminées dès midi, mais il faudra attendre le milieu de l’après-midi pour avoir accès à toute la gamme : pains, brioches, fougasses, biscuits… La boulangerie baissera le rideau vers 19 heures et reviendra le mardi suivant. D’ici là, elle s’installera jeudi et vendredi dans deux autres villages “dortoirs” de ce coin de l’Isère. Dans l’un d’eux, l’arrivée de ce fournil ambulant a recréé une petite dynamique locale : un maraîcher et un éleveur caprin ont pris l’habitude de venir une fois par semaine vendre leurs produits sur le même parking.
Ramener de la vie aux villages
La Boulangerie Itinérante a fêté ses cinq ans fin septembre. Dans sa vie d’avant, Guillaume Dubourg, né en 1970, a été berger, tondeur de mouton, moniteur de plongée et scaphandrier. Celui qui faisait déjà son pain avec un levain maison a mis deux ans à concevoir son projet de reconversion. Avec deux critères : « J’avais peu de moyens pour investir et je voulais ramener de la vie dans des villages sans commerces. »
Mais l’homme était lucide : la clientèle d’un seul village ne suffirait pas à faire vivre une petite boulangerie au levain, bio et végane de surcroît… «En bougeant sur différentes communes, j’étoffe ma clientèle, indique-t-il. J’ai démarré avec quatre villages par semaine, mais j’ai calmé le jeu car je fatigue…» CAP en poche, après quelques jours passés chez des paysans-boulangers pour en apprendre plus, il s’est lancé avec une gamme de sept pains — dont un change chaque semaine —, des fougasses aux légumes et des brioches et biscuits véganes.
Tout le monde ne se presse pas à sa porte : sa clientèle est faite d’un noyau de fidèles, auquel s’ajoutent ponctuellement quelques nouvelles têtes. D’autres continuent à préférer acheter leur pain en ville en sortant du travail, par praticité ou par goût pour les baguettes blanches et les viennoiseries au beurre.
Ces dernières n’entrent pas dans la définition du « bon » de Guillaume Dubourg. Il ne travaille qu’avec des farines peu raffinées et deux levains naturels : l’un de blé et seigle, pour la majorité de la gamme ; l’autre de sarrasin, pour les produits sans blé. Tout ce qui peut l’être est acheté localement et en direct du producteur — c’est le cas de 95 % des farines. «Je n’ai pas le label commerce équitable mais je paye tout au prix fixé par les producteurs, sans le négocier», souligne-t-il.
Un four à bois artisanal dans la roulotte
Après cinq à six heures de pousse, les pains pétris le matin sont prêts à être enfournés. Bien qu’équipé de thermomètres, l’artisan préfère sa méthode, « à l’ancienne » : il jette une poignée de farine dans le four : si elle brunit, c’est trop chaud ; si elle reste blanche, trop froid. Elle roussit : banco ! Avant d’enfourner, il jette des tasses d’eau sur la plaque : «C’est un four artisanal sans système de vapeur », sourit-il.
Pour éviter les déperditions de chaleur, il enfourne rapidement les 40 kg de pains. Tous moulés, pour optimiser la place dans le four, ils seront distingués grâce à leurs grignes différentes. Après les pains — nécessitant une température élevée et cuits à chaleur tombante —, il enfournera les brioches à l’huile d’olive, les fougasses et les biscuits, qui se contentent de 180 à 200 °C. Pour cuire en moyenne 150 kg de pains par semaine, le four consomme dix stères de bois par an. Les tarifs de ce bois de piquets d’exploitations agricoles, beaucoup moins élevés que ceux du bois de chauffage, n’ont pas augmenté. «En revanche, le prix du gasoil pour déplacer mon fourgon a presque doublé en cinq ans», constate le boulanger.
Des panneaux solaires alimentent l’éclairage et le petit frigo. En été, ce dernier permet d’avoir toujours un peu d’eau filtrée au frais. « Sinon la fermentation irait trop vite car la température de la farine, stockée dans la roulotte, est trop élevée », explique l’artisan. En hiver, au contraire, la farine est trop froide : le four est donc souvent remis en marche la veille des fabrications pour réchauffer un peu l’atmosphère.
Du pain et des messages
Tout en rafraîchissant son levain, il reconnaît qu’il aurait pu faire autre chose que du pain. « Ce qui compte pour moi, c’est surtout de passer un message », confie-t-il. Lui mange bio depuis vingt ans par souci de sa santé et de l’environnement, et végane depuis douze ans en réaction au réchauffement climatique et à la souffrance animale. C’est donc tout naturellement qu’il veut enseigner le respect du bon et du vivant. Un message qu’il fait passer au quotidien en proposant des pains pétris de valeurs mais aussi en animant régulièrement des ateliers boulange pour des enfants.
Ses opinions, partagées dans une newsletter envoyée à ses sympathisants, sont clivantes : « Je ne peux pas être copain avec tout le monde », admet-il. Mais il y avait une belle et joyeuse foule pour fêter en musique et en gourmandise le cinquième anniversaire de cette boulangerie pas comme les autres. L’artisan avait fait des tartes aux légumes dont les recettes ont payé les musiciens. Les bénéfices des ventes de pain, eux, avaient été reversés aux sinistrés du Maroc.